Lac Ahémé

Bernard Capo-Chichi nous emmène aujourd’hui sur les bords d’un lac situé au sud-ouest du Bénin, entre l’Océan atlantique et le…

Bernard Capo-Chichi nous emmène aujourd’hui sur les bords d’un lac situé au sud-ouest du Bénin, entre l’Océan atlantique et le fleuve Couffo dont il tire simultanément bénéfice. Cette cuvette, étonnant milieu poissonneux, est une source de revenus appréciés de ses riverains. Lesquels, toujours plus nombreux, en ont usé et abusé. Depuis quelque temps déjà, l’état de santé du Lac Ahémé fait problème. Pour certains, il est mourant. Pour d’autres, il est déjà mort. Sans qu’on puisse le prouver scientifiquement.

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Avec ses 87 kilomètres carrés et ses 3 mètres de profondeur, sans comparaison avec les grands lacs africains, probablement d’origine tectonique, remarquable par la richesse et la diversité de ses ressources halieutiques, le Lac Ahémé était un peu « la vache laitière » de cette région dépourvue d’industrie moderne et vivant principalement de pêche, d’agriculture et de commerce. « C’est Dieu qui nous a donné le lac », clament fièrement ses quelque 250’000 riverains. En paraphrasant Hérodote, osons donc dire qu’il était pour cette population lacustre ce que le Nil est pour les Égyptiens !

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Départ pour la pêche sur le Lac Ahémé

Kakpovi, fils de Guézin, village lacustre emblématique, ne cache pas sa reconnaissance : « c’est le lac qui a financé mes études ». C’est que la capture et la vente des produits du lac faisaient vivre des familles entières .Une sorte de banque de financement et d’investissement, sans intérêt aucun, que les populations ont exploitée plusieurs décennies durant sans compensation.

Ce n’est plus tout à fait le cas aujourd’hui. Car entre temps le lac a subi une pression démographique croissante et ses nombreux corollaires. Il ne peut plus à présent répondre aux sollicitations de l’homme et de ses progénitures. Ce n’est pas surprenant. Puisqu’à la surexploitation quotidienne de ses ressources au moyen d’engins de pêche prohibés s’ajoutent les pollutions de toutes sortes dues au manque d’assainissement et de voirie.

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Le lac se comble et offre ici un passage
à gué à moins de 2 mètres de profondeur

Que dire de ses berges ? Déboisées, dénudées, elles subissent l’érosion constante des eaux de ruissellement qui charrient vers le plan d’eau d’énormes quantités de particules fines et de matières en suspension. Il faut dire que cette région se distingue par une pluviométrie très abondante. Ce qui explique cela.

Depuis quelques années, les spéculations sur l’état de santé du lac Ahémé vont bon train. Quels que soient les moyens de pêche, les captures sont toujours plus maigres et on n’y trouve même plus les espèces nobles très appréciées des consommateurs qui désormais, faute de mieux, n’ont guère d’autre choix que de se contenter d’une espèce locale, le ’gbodoe’, sans valeur nutritive ni économique. Peut-être n’est-il plus très loin, prédisent quelques pêcheurs inquiets, le temps où les riverains du lac importeront du poisson pour leur propre consommation.

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Guézin, village sur le Lac Ahémé : le manque de voirie et d’assainissement est préjudiciable à la qualité des eaux

« Quand le lac étouffe, les ménages volent en éclats », constate le chef d’arrondissement de Sègbohouè, grande localité des bords du lac. Les difficultés socio-économiques consécutives à la mauvaise santé du lac sont palpables un peu partout : les gens s’appauvrissent et s’en vont vers les villes et les pays voisins, les jeunes cèdent à la délinquance, et les ressources naturelles ne cessent de se dégrader. Le lac, disent certains, serait également victime de la politique politicienne qui, en échange de voix dans les urnes, « ferme les yeux » sur les déprédations écologiques des riverains.

D’où cet aveu d’impuissance entendu ici et là : « le lac est déjà mort ». Mais, avant tout diagnostic définitif, il faudrait interroger la qualité de ses eaux. Hélas, les analyses fiables font défaut. De ce point de vue, le Lac Ahémé ne fait pas exception : au Bénin, les plans d’eau et les cours d’eau restent sans contrôle ni surveillance ni suivi scientifique. Tel un patrimoine en déshérence. Analyses physico-chimiques, biologiques, bactériologiques sont rares, voire inexistantes, comme de l’eau en plein désert.

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L’île de Mitogbodji, au milieu du lac,
refuge d’ oiseaux migrateurs,
atout écologique et touristique

Pourtant les solutions et les remèdes existent pour mener une gestion effective des ressources en eau : améliorer, clarifier et vulgariser le cadre législatif, juridique et institutionnel ; soutenir un assainissement municipal digne de ce nom ; encourager la formation dans les domaines de l’eau et du développement durable ; mettre sur pied un observatoire national de gestion des cours d’eau et des lacs, etc. Tout le monde est concerné et devrait s’impliquer directement dans la sauvegarde de ce bien commun. Qui, par ailleurs, ne manque pas d’arguments touristiques.

Je plaide pour tous les plans d’eau en général, et pour le Lac Ahémé en particulier. Ils méritent toute notre attention avant qu’il ne soit trop tard.

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