AprÚs Djibouti, vendredi 9 avril, des élections présidentielles sans rivaux majeurs pour les présidents sortants, sont organisées ce dimanche 11 avril au Bénin et au Tchad. Chercheur au trÚs dynamique think tank Wathi, basé à Dakar, Babacar Ndiaye décrypte les enjeux de ces scrutinsLes
trois Ă©lections prĂ©sidentielles organisĂ©es Ă Djibouti, au BĂ©nin et au Tchad, entre vendredi et dimanche, ont en commun l’absence de challenger de taille face Ă chacun des trois prĂ©sidents sortants. Qu’est-ce qui explique cette situation ?Â
La situation actuelle de ces trois pays et le dĂ©roulement de la sĂ©quence Ă©lectorale, ne laisse presque pas de doute sur une victoire de chacun de ces trois prĂ©sidents sortants. Le Tchad et Djibouti ont des points communs.  Dans ces deux pays, nous avons des prĂ©sidents qui sont candidats Ă leur propre succession et qui sont en fonction depuis plus de deux dĂ©cennies au moins. Idriss DĂ©by est candidat Ă un sixiĂšme mandat prĂ©sidentiel Ă la tĂȘte du Tchad.Â
L’absence de challengers rĂ©els Ă ces diffĂ©rentes prĂ©sidentielles est dĂ» Ă plusieurs facteurs. Pour le Tchad et Djibouti, il y a le fait que ces dirigeants, prĂ©sents depuis des annĂ©es Ă la tĂȘte de ces pays, ont mis en place des mĂ©canismes ou systĂšmes qui renforcent toujours leur pouvoir. Il y a un contrĂŽle quasi absolu de tous les secteurs de la vie politique et institutionnelle du pays. L’opposition n’a pas beaucoup d’espace pour se faire entendre. La justice est souvent perçue comme un « instrument » du pouvoir.
Dans ces deux pays comme au BĂ©nin, il  y a une pratique qui est de plus en plus courante un peu partout en Afrique, il s’agit de l’exclusion d’une partie de la classe politique du champ politique ou simplement de la compĂ©tition Ă©lectorale. Cette exclusion se fait de plusieurs maniĂšres. Il s’agit de rĂšgles que l’on Ă©dicte sans un consensus de la classe politique. Au BĂ©nin, nous avons eu le parrainage comme l’un des critĂšres de validation des candidatures Ă la prĂ©sidentielle. Les candidats devaient rĂ©unir au moins 16 parrainages. Â
 La quasi-totalitĂ© de ceux qui peuvent transmettre ce parrainage qui sont les dĂ©putĂ©s et les maires appartiennent au camp prĂ©sidentiel. Au final au BĂ©nin, les candidats les plus sĂ©rieux ne sont pas prĂ©sents Ă cette Ă©lection. L’opposition parle mĂȘme d’une « Ă©lection prĂ©sidentielle avec Patrice Talon contre Patrice Talon ».
 La capacitĂ© du pouvoir Ă Ă©dicter les rĂšgles du jeu politique, le contrĂŽle quasi absolu des institutions supposĂ©es dĂ©mocratiques et la perception d’un manque d’intĂ©gritĂ© du processus Ă©lectoral ne jouent pas en faveur des opposants politiques. Le dĂ©bat n’est pas forcĂ©ment celui des idĂ©es et des offres programmatiques mais celui de personnes.
 Il y a une autre donne: l’opposition va souvent en rang dispersĂ© aux Ă©lections prĂ©sidentielles.  Au Tchad, 15 partis d’opposition souhaitaient avoir un « candidat unique » face au prĂ©sident Idriss DĂ©by Itno, mais cela n’a pas pu se concrĂ©tiser du fait des ambitions personnelles. La Cour suprĂȘme a invalidĂ© sept candidatures et l’opposant « historique » Saleh Kebzabo a dĂ©cidĂ© de se retirer de la course pour protester contre les violences et appelle au boycott du scrutin. Au fond, l’enjeu de ces trois scrutins prĂ©sidentiels sera le taux de participation pour lĂ©gitimer la victoire du prĂ©sident sortant. Â
 Les diffĂ©rentes mobilisations ou initiatives pour empĂȘcher ou troubler ces trois scrutins ne semblent pas porter leurs fruits. Est-ce Ă dire que les oppositions africaines sont faibles ?
 La faiblesse de l’opposition mĂȘme une rĂ©alitĂ© dans beaucoup de pays africains. Il est clair qu’elle peine souvent Ă mobiliser les populations. Il faut d’ailleurs poser la question de la pertinence des partis politiques telle que nous la concevons. Il semblerait qu’il y ait un essoufflement quant Ă leurs capacitĂ©s Ă renouveler leur discours. Nous avons souvent les mĂȘmes visages au sein de l’opposition et qui sont candidats Ă©lections aprĂšs Ă©lections. A Djibouti, il est reprochĂ© au prĂ©sident IsmaĂ«l Guelleh d’avoir favorisĂ© la candidature d’un homme indĂ©pendant et inconnu du champ politique pour tenter de donner du sang neuf Ă son opposition.
 Il faudrait une nouvelle génération de politiques capables de remobiliser les populations autour de nouvelles idées et idéaux.
 Il y a aussi la crĂ©dibilitĂ© dans le discours et la cohĂ©rence dans les postures. Au Tchad, le gĂ©nĂ©ral Bala LadĂ©, qui se plaçait comme un opposant dur Ă Deby, le soutient finalement.  Les populations peuvent ĂȘtre dĂ©routĂ©es par le positionnement des acteurs politiques. La grande majoritĂ© des populations semblent se dĂ©sintĂ©resser de ces scrutins qu’on dit jouĂ©s d’avance. Il faut rappeler aussi que les populations sont plus prĂ©occupĂ©es par leur situation au quotidien.
 Quand vous avez un appareil sĂ©curitaire qui interpelle et rĂ©prime les manifestants et que les marches mĂȘmes pacifiques sont interdites. Il est difficile de mobiliser les populations. A Djibouti, les rĂ©seaux sociaux sont devenus un moyen d’expression privilĂ©giĂ© pour la population car dans ce pays, 73 % de la population a moins de 35 ans.  Il est clair que les formes actuelles de l’opposition Ă travers des partis politiques peinent Ă trouver un discours rĂ©ceptif auprĂšs des populations surtout lorsque tout converge vers une victoire du prĂ©sident sortant.
 La communautĂ© internationale, y compris l’Union africaine, semble s’accommoder de cette situation. Comment expliquer cela ?
 La situation du Tchad et de Djibouti est intĂ©ressante Ă observer au regard de ce que ces 2 pays reprĂ©sentent sur le plan sĂ©curitaire en Afrique. Le Tchad est devenu est quelques annĂ©es un alliĂ© incontournable dans la lutte contre le terrorisme au Sahel. Le prĂ©sident Deby a projetĂ© son armĂ©e comme une force sĂ»re contre le terrorisme. Son pays a connu de lourdes pertes dans le domaine militaire.  L’efficacitĂ© de l’armĂ©e tchadienne est reconnue et surtout sa capacitĂ© Ă se projeter avec des troupes trĂšs mobiles avec trĂšs peu de logistique dans des terrains trĂšs difficiles.
 Le Tchad a dĂ©montrĂ© au sein du G5 Sahel qu’elle dispose de l’armĂ©e la plus outillĂ©e pour faire face aux groupes terroristes. Il est Ă©vident que le rĂŽle jouĂ© par le Tchad dans le contexte actuel de lutte contre le terrorisme au Sahel le place en position intĂ©ressante. Il semble difficile pour les pays engagĂ©s dans la lutte contre le terrorisme au Sahel et notamment la France de formuler des critiques sur la prĂ©sence de DĂ©by.
 Le prĂ©sident tchadien a su se rendre indispensable et donc il bĂ©nĂ©ficie d’une sorte « d’immunitĂ© » face aux critiques qui peuvent ĂȘtre formulĂ©es.  Finalement, cette situation renforce l’adage que les Ătats n’ont pas d’amis, ils n’ont que des intĂ©rĂȘts. L’intĂ©rĂȘt de l’heure est de lutter contre le terrorisme au Sahel et le Tchad y joue un rĂŽle majeur.
 Djibouti Ă©galement reconnu sur le plan sĂ©curitaire pour son emplacement stratĂ©gique. Le pays accueille des bases militaires de la France, des Ătats-Unis, du Japon et de la Chine depuis 2017. Il faut se rappeler qu’en 2008, l’Union europĂ©enne y avait installĂ© une base navale pour lutter contre la piraterie dans les eaux somaliennes.
 La position gĂ©ographique et stratĂ©gique de Djibouti en fait un pays prisĂ© par les grandes puissances Ă©trangĂšres qui doivent Ă intervalle rĂ©gulier la prĂ©sence de leurs bases militaires. Ce positionnement stratĂ©gique de Djibouti ne laisse guĂšre la place Ă des critiques et les grandes puissances s’accommodent des victoires successives du prĂ©sident Guelleh.