« Est-on en Grèce? »: les migrants à l’assaut de la frontière terrestre gréco-turque

Certains jettent des morceaux de bois en feu, d’autres tentent de découper les barbelés: des milliers de migrants s’étaient massés samedi au poste-frontière de Kastanies, où quelque 500 soldats et policiers grecs tiraient sporadiquement des gaz lacrymogènes pour les empêcher d’entrer de Turquie dans l’UE.

A des kilomètres de là, des centaines de réfugiés ont réussi à pénétrer par groupes dans le nord de la Grèce en traversant à l’aube le fleuve Evros, qui longe la frontière sur 200 kilomètres, ont constaté des journalistes de l’AFP.

« Est-on en Grèce? », demande un jeune homme, qui a franchi la frontière dans la boue avec un groupe de 20 personnes. « Où peut-on trouver un taxi ou un train pour aller à Athènes », ajoute le réfugié afghan, rencontré sur une route locale près de la ville d’Orestiada.

La Turquie a annoncé vendredi qu’elle laisserait ouvertes aux migrants ses frontières avec l’Union européenne (UE). Depuis, militaires et policiers grecs ont renforcé leurs patrouilles le long du fleuve Evros, avertissant par haut-parleur de l’interdiction d’entrer en Grèce.

Mais la zone est vaste et ardue à surveiller. Les autorités grecques utilisent des drones pour tenter de localiser les groupes de migrants marchant près de la ligne invisible et surveiller leur avancée.

« Le fleuve Evros est vraiment très long et il y a des passages faciles », a souligné Christos Metios, gouverneur de Macédoine de l’Est et de Thrace. « Les forces de l’ordre grecques multiplient les efforts mais certains migrants arrivent à passer », a-t-il dit sur Skai TV.

« Depuis tôt ce matin, nous procédons sans cesse à des arrestations. Ce qui me frappe c’est que la plupart sont des jeunes hommes en provenance d’Afghanistan, sans bagage », rapporte un policier à l’AFP. Avec ses collègues, il vient d’interpeller dix migrants et les conduit à bord de deux vans blancs au poste de police le plus proche.

Au poste-frontière de Kastanies (Pazarkule côté turc), quelque 4.000 migrants et réfugiés se sont massés derrière les grillages, selon une source policière grecque, contre 1.200 la veille.

Certains ont grimpé aux arbres, d’autres ont cassé du béton qu’ils jettent du côté grec, d’autres encore lancent des grenades lacrymogènes par-dessus les fils barbelés.

Sur place, Panagiotis Harelas, président des garde-frontières grecs, montre aux médias certaines de ces grenades de fabrication turque: « Nous faisons face à la propagande turque et à des grenades lacrymogènes turques », fustige-t-il.

– Trempés et épuisés –

Sur les routes secondaires proches de la frontière, des groupes de réfugiés marchent sans relâche, certains ont perdu leurs chaussures dans le fleuve, ils sont trempés et couverts de boue, épuisés par des heures de marche dans le froid et sous la pluie.

Ils cherchent un moyen de rejoindre Thessalonique, la deuxième ville du pays, à 3 heures de route de là, ou Athènes, espérant contacter des représentants des Nations unies.

« Nous marchons depuis quatre jours. Nous avons traversé le fleuve car il n’y avait pas beaucoup d’eau », raconte à l’AFP un Iranien de 36 ans.

« Je veux atteindre l’Albanie et de là gagner l’Europe », confie ce réfugié rencontré près du village de Neo Cheimonio. Il a passé la frontière avec un groupe d’Afghans et d’Africains, sans bagages, dont les vêtements sont détrempés par les pluies de la nuit.

Dans le village de Marassia, à deux pas du fleuve, Popi Katrivezi, la propriétaire du café, a « l’habitude » de voir passer des réfugiés « depuis des années. « Mais ce qui se passe depuis vendredi est du jamais vu. Il semble qu’ils arrivent par milliers depuis la Turquie », dit-elle à l’AFP.

A quelques mètres de là, des familles afghanes ont trouvé refuge depuis une dizaine d’heures dans une chapelle. Il y a cinq enfants, ils ont faim et leurs vêtements sont mouillés. « Aidez-nous », implorent-ils, en demandant de l’eau et de la nourriture.

En Israël, derniers meetings de Netanyahu et Gantz avant les élections

Le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu, inculpé pour corruption, et son rival Benny Gantz bouclent samedi soir leur troisième campagne électorale en moins d’un an dont l’issue dépend désormais de la volonté des électeurs à se rendre aux urnes.

Après deux élections n’ayant pas réussi à faire de vainqueur, en avril et septembre, les derniers sondages placent les deux rivaux au coude-à-coude pour cette dernière épreuve d’un long triathlon politique en Israël.

Selon ces projections, le Likoud (droite) de Benjamin Netanyahu et la formation centriste Kahol Lavan (Bleu blanc, couleur du drapeau israélien) obtiendraient 33 sièges chacun sur les 120 de la Knesset, le Parlement, un score quasi identique aux derniers scrutins.

Et en comptant leurs alliés respectifs – la droite et les partis religieux pour M. Netanyahu, le centre-gauche pour M. Gantz – aucun des deux grands blocs n’obtiendrait suffisamment d’appuis pour former un gouvernement selon ces sondages.

Samedi, jour de repos en Israël, les deux leaders se préparaient en journée à leurs derniers rassemblements de campagne prévus en soirée, après le shabbat, à Tel-Aviv pour M. Gantz et dans ses environs pour M. Netanyahu. Et leur message devrait être clair: galvaniser les électeurs.

Pour une troisième élection en moins d’un, la grande inconnue demeure le taux de participation. D’avril à septembre, la participation avait légèrement progressé (+1,5 point), en raison notamment du vote plus important que prévu des électeurs arabes, pour s’établir à près de 70%.

Les partis arabes israéliens, réunis sous la bannière de la « Liste unie », avaient gravi la troisième marche du podium et espère cette fois encore augmenter leur nombre de sièges en misant sur l’opposition au « plan Trump » pour le Moyen-Orient défendu par MM. Netanyahu et Gantz.

« Nous voulons la chute de Netanyahu car c’est le plus grand provocateur des citoyens arabes et c’est le parrain de ‘l’accord du siècle' », surnom du projet américain qui prévoit notamment de faire de Jérusalem la capitale « indivisible » d’Israël, a déclaré à l’AFP Ayman Odeh, le chef de la liste des partis arabes.

– Coronavirus –

Mais pour ce round 3, une inconnue s’invite dans l’arène : le coronavirus. Au cours des dix derniers jours, la campagne électorale a été en partie éclipsée dans les médias par l’épidémie mondiale de coronavirus touchant aussi Israël qui recense au moins six cas.

Les autorités ont pris une série de mesure d’urgence comme mettre sur pied un centre d’appel pour filtrer les cas potentiels et rassurer la population et bloquer l’accès au pays à des voyageurs provenant de différents pays dont l’Italie.

Pour les élections, le ministre de la Sécurité intérieure a d’ailleurs mis en garde contre la propagation de « fausses nouvelles » sur le coronavirus qui pourrait amputer, selon lui, la participation populaire aux élections de lundi, si des électeurs boudent les bureaux de vote par crainte de contamination.

– Procès Netanyahu –

Sur les boulevards de Jérusalem et Tel-Aviv, des publicités du camp Netanyahu exhortent directement les « Likoudniks » – terme désignant les sympathisants du parti Likoud – à soutenir leur chef qui est dans le viseur de la justice.

Benjamin Netanyahu, 70 ans, dont 14 au pouvoir, est devenu en novembre le seul chef de gouvernement de l’histoire d’Israël a être inculpé pendant son mandat, et de surcroît pour corruption, malversation et abus de confiance dans différents affaires.

Son procès doit s’ouvrir le 17 mars à Jérusalem, d’où l’importance cruciale de ce scrutin. S’il parvient, avec ses alliés, à obtenir une majorité de sièges au Parlement il pourra se présenter devant la justice en position de force et garder son job de Premier ministre.

Mais s’il n’arrive pas à obtenir de majorité avec ses alliés, il devra alors ferrailler pour s’imposer à la tête d’une coalition au moment même où s’ouvrira son procès pour corruption.

La Guinée-Bissau, abonnée aux coups de force politiques, a deux présidents

La Guinée-Bissau, petit pauvre pays d’Afrique de l’Ouest, s’est réveillée samedi avec deux présidents rivaux, fidèle en cela à son histoire d’instabilité chronique.

En l’espace de deux jours, Bissau a connu une succession de faits accomplis dont rien, a priori, ne permet de discerner le dénouement mais dans lesquels l’armée, actrice de premier plan des crises bissau-guinéennes, s’est engagée vendredi sans qu’apparaissent les limites de son implication future.

Jeudi, deux mois après le second tour d’une présidentielle toujours pas définitivement tranchée, celui qui a été déclaré vainqueur par la commission électorale nationale, Umaro Sissoco Embalo, a forcé le cours des évènements sans attendre que soit vidée la querelle post-électorale, et s’est fait investir président par son prédécesseur.

Depuis la présidentielle du 29 décembre, le pays est le théâtre d’un bras de fer entre M. Embalo, ancien général et ancien Premier ministre régulièrement coiffé d’un keffieh, et son adversaire Domingos Simoes Pereira, autre ancien Premier ministre.

C’est aussi une confrontation entre ceux qui ont rallié M. Embalo, issu de l’opposition, et le Parti africain pour l’indépendance de la Guinée et du Cap Vert (PAIGC), qui domine la vie politique de cette ancienne colonie portugaise depuis son indépendance en 1974.

M. Embalo a été donné vainqueur par la commission électorale avec 53,55%. M. Pereira, crédité de 46,45%, et le PAIGC dénoncent des fraudes et réclament qu’on recompte les votes.

– Intervention de l’armée –

M. Embalo est passé outre à une décision toujours attendue de la Cour suprême, saisie par le PAIGC: après avoir ceint l’écharpe de président jeudi, il s’est installé dans le palais présidentiel.

Vendredi, il a démis le Premier ministre (PAIGC) Aristides Gomes, reconnu par la communauté internationale, et a nommé à sa place un de ses partisans, Nuno Gomes Nabiam, candidat malheureux à la présidentielle qui a rejoint son camp entre les deux tours, avec d’autres résolus à battre le PAIGC.

L’investiture de M. Nabiam et la présentation de son gouvernement sont annoncées samedi.

La crise s’est emballée vendredi quand 52 députés du PAIGC et de formations sympathisantes ont convoqué une session spéciale. Ils y ont constaté « la vacance du pouvoir » et nommé président par intérim le président de l’Assemblée nationale, Cipriano Cassama, membre du PAIGC, celui-là même qui avait refusé cette semaine d’accorder sa caution à l’investiture de M. Embalo.

M. Cassama est censé s’adresser au pays samedi.

Dans la soirée de vendredi, des militaires se sont établis dans les institutions du pays et ont pris le contrôle de la radio et de la télévision, sans qu’on sache si l’armée a choisi un camp et lequel.

Elle agit pour « garantir la stabilité et la paix, contrôler les institutions de manière à éviter d’éventuels troubles à l’ordre public », a dit à l’AFP un officier s’exprimant sous le couvert de l’anonymat.

– Absence du corps diplomatique –

C’est le dernier épisode en date d’une histoire contemporaine chaotique, jalonnée de coups d’Etats ou de tentatives, le dernier putsch remontant à 2012.

Depuis 2014, le pays s’est engagé vers un retour à l’ordre constitutionnel, ce qui ne l’a pas préservé de turbulences à répétition, mais sans violence, entre le camp du président sortant et le PAIGC.

Le pays d’1,8 million d’habitants, l’un des plus pauvres de la planète, a pourtant un besoin pressant de réformes qu’a entravées la paralysie des dernières années.

Les narcotrafiquants utilisent le territoire pour faire transiter la cocaïne d’Amérique latine vers l’Europe, avec la complicité suspectée de cadres de l’armée.

C’est, avec la stabilité, l’un des grands enjeux pour la communauté internationale qui observe la situation. Le corps diplomatique était notoirement absent jeudi de la cérémonie où M. Embalo s’est fait investir.

La situation « risque d’aggraver la crise que connaît de longue date la population », s’est inquiété la Commission européenne. L’investiture d’un président devrait intervenir « au terme des procédures légales », a dit un porte-parole dans une apparente référence à la décision en suspens de la Cour suprême.

Guinée: l’opposition exige l’annulation du référendum constitutionnel reporté par le président Condé

L’opposition en Guinée refusait samedi de se contenter du report annoncé par le président Alpha Condé d’un référendum contesté et promet de poursuivre sa lutte pour annuler le scrutin, initialement prévu dimanche en même temps que les législatives.

« Nous avons entendu le report des législatives et du référendum. Nous félicitons le peuple de Guinée qui a vaillamment combattu contre ce coup d’Etat constitutionnel. Toutefois, nous ne nous satisfaisons pas de ce report », a déclaré à l’AFP Ibrahima Diallo, le chargé des opérations du FNDC, le collectif de partis et de la société civile engagé contre un éventuel troisième mandat de M. Condé, élu en 2010, puis réélu en 2015.

« Nous continuerons la lutte jusqu’au retrait complet de cette forfaiture de cette nouvelle Constitution. La lutte continue jusqu’à ce que Alpha Condé quitte le pouvoir en vertu de l’actuelle Constitution » qui limite le nombre de mandat présidentiel à deux, a ajouté M. Diallo.

Le président Condé a annoncé vendredi soir sur la télévision publique avoir « accepté un report, léger, de la date des élections (référendum et législatives). Ce n’est ni une capitulation, ni une reculade ». Il a assuré que « le peuple de Guinée exprimera librement son choix à travers le référendum et choisira librement ses députés ».

« Nous acceptons le report qui doit être de deux semaines », a-t-il ensuite précisé dans une lettre à la Communauté économique des Etats d’Afrique de l’Ouest (Cédéao), consultée par l’AFP.

La commission électorale « va saisir la cour constitutionnelle pour la fixation d’une nouvelle date dans la fourchette indiquée », a-t-il écrit dans ce courrier.

Depuis mi-octobre, la mobilisation anti-Condé sous la houlette du Front national de défense de la Constitution (FNDC) donne lieu à des manifestations massives à travers le pays, à des journées villes mortes qui affectent l’économie d’un des pays les plus pauvres de la planète, et à de graves épisodes de brutalité policière.

Au moins 30 civils et un gendarme ont été tués depuis lors.

– « Ni le 1er mars, ni dans 15 jours » –

L’opposition devait se réunir samedi. Elle a annoncé une poursuite des manifestations contre le pouvoir, ont indiqué à l’AFP plusieurs de ses responsables.

Elle considère le référendum comme une manœuvre du président Alpha Condé, bientôt 82 ans, pour briguer un troisième mandat à la fin de l’année.

Le principal opposant guinéen Cellou Dalein Diallo estime que « le discours d’Alpha Condé s’apparente plus à une déclaration de guerre à l’endroit de l’opposition et du FNDC qu’à une offre de paix et de dialogue », sur Twitter. « Non au coup d’Etat constitutionnel, non à la mascarade électorale ni le 1er mars, ni dans 15 jours », a-t-il poursuivi.

Une source diplomatique occidentale à Conakry a affiché son scepticisme sur la possibilité de tenir le pari d’organiser un référendum et des législatives fiables dans les nouveaux délais de deux semaines annoncés.

Ce report « ne va pas (faire) progresser plus la machine (électorale). Le fichier électoral ne va pas évoluer en quinze jours », a-t-elle déclaré à l’AFP.

« Le report, c’est purement pour des raisons techniques. Les gens ont saccagé des matériels dans des bureaux de vote. Ca n’a rien à voir avec le fichier électoral » contesté par l’opposition, a affirmé à l’AFP le secrétaire permanent du parti présidentiel, Sékou Condé.

– Listes électorales « problématiques » –

Avant le report surprise de vendredi soir, les Guinéens étaient appelés à se prononcer dimanche sur une nouvelle Constitution, défendue comme « moderne » par le chef de l’Etat. Elle codifierait l’égalité des sexes, interdirait l’excision et le mariage des mineurs. Elle veillerait à une plus juste répartition des richesses en faveur des jeunes et des pauvres, selon lui.

Les tensions qui ont persisté à la veille du référendum ont fait redouter une aggravation des violences meurtrières, dans un pays habitué aux brutales répressions.

Les doutes exprimés par la communauté internationale quant à la crédibilité du vote se sont succédé.

L’Organisation internationale de la francophonie (OIF), accompagnatrice du processus électoral en Guinée, a jugé « problématiques » près de 2,5 millions de noms d’électeurs figurant sur les listes, avec des doublons et la présence de personnes défuntes.

L’Union européenne s’est interrogée sur « la crédibilité des échéances électorales à venir », en raison notamment de « l’absence de transparence ».

La Cédéao avait annoncé qu’elle n’enverrait pas d’observateurs. L’Union africaine avait décidé de rappeler sa mission d’observation électorale en Guinée.

En quête de soutien en Syrie, Erdogan ouvre les portes de l’Europe aux migrants

Le président turc Recep Tayyip Erdogan a menacé samedi de laisser les portes de l’Europe ouvertes aux migrants, au moment où il cherche un soutien occidental contre le régime syrien auquel il a promis de « faire payer le prix » de ses attaques militaires contre Ankara.

A la frontière entre la Turquie et la Grèce où plusieurs milliers de personnes voulant se rendre en Europe ont afflué, la situation était très tendue, avec des échauffourées entre policiers grecs tirant des grenades lacrymogènes et migrants lançant des pierres.

Des milliers de migrants, notamment des Afghans, des Irakiens et des Syriens, ont passé la nuit à la frontière, se regroupant autour de braseros de fortune à proximité du poste-frontière de Pazarkule (Kastanies, côté grec), selon des correspondants de l’AFP.

– 4.000 migrants repoussés –

Face à ces scènes qui réveillent le spectre de la grave crise migratoire qui a fait trembler l’Europe en 2015, la Grèce et la Bulgarie – également voisine de la Turquie- ont bouclé leur frontière.

M. Erdogan a affirmé que 18.000 personnes avaient « forcé les portes » pour passer en Europe vendredi, anticipant une vague de « 30.000 personnes » samedi, des chiffres qui semblent surévalués par rapport à ce que les journalistes de l’AFP ont vu sur le terrain.

Athènes a indiqué samedi avoir empêché 4.000 migrants venant de Turquie d’entrer « illégalement » en Grèce.

La Turquie, qui a conclu en 2016 avec Bruxelles un pacte visant à réduire le passage de migrants notamment vers la Grèce, a ouvert ses frontières vendredi afin de faire pression sur l’Europe pour obtenir davantage de soutien en Syrie.

Jeudi, Ankara y a essuyé ses plus lourdes pertes depuis le début de son déploiement en Syrie en 2016, avec 33 militaires tués dans des frappes aériennes attribuées au régime de Bachar al-Assad, soutenu par Moscou, à Idleb dans le nord-ouest de la Syrie. Un autre soldat turc a été tué vendredi.

Les forces turques ont riposté et ont affirmé samedi avoir détruit une « installation d’armes chimiques ».

Selon l’Observatoire syrien des droits de l’Homme (OSDH), une ONG, au moins 48 soldats syriens et 14 combattants du Hezbollah, allié de Damas, ont été tués dans des frappes turques.

– « Ecartez-vous » –

« Nous aurions préféré ne pas en arriver là. Mais puisqu’ils nous y ont poussés, alors ils vont en payer le prix », a déclaré M. Erdogan.

Alors que les relations entre Ankara et Moscou se dégradent rapidement à cause de la crise d’Idleb, M. Erdogan a durci le ton envers le président russe Vladimir Poutine, avec qui il s’est pourtant efforcé de cultiver une étroite relation personnelle depuis 2016.

Lors d’un entretien téléphonique vendredi, « j’ai dit à M. Poutine: +Que faites-vous là-bas (en Syrie) ? Si vous voulez établir une base, allez-y, mais ôtez-vous de notre chemin. Laissez-nous seul à seul avec le régime+ », a affirmé le président turc.

Plus conciliant, le ministère russe des Affaires étrangères Sergueï Lavrov a affirmé samedi que Russes et Turcs avaient émis le souhait d’une « réduction des tensions » en Syrie lors de rencontres entre hauts responsables des deux pays ces derniers jours.

Selon le Kremlin, les deux présidents pourraient se rencontrer à Moscou la semaine prochaine.

Ces dernières semaines, M. Erdogan a plusieurs fois sommé les forces syriennes de se retirer de certaines zones à Idleb d’ici la fin février, menaçant sinon de l’y contraindre par la force. En théorie, ce délai arrive à expiration samedi à minuit.

Le régime syrien, appuyé par Moscou, mène depuis décembre une offensive pour reprendre la province d’Idleb, ultime bastion rebelle et jihadiste.

Sur le terrain, des affrontements entre rebelles et régime se poursuivaient samedi autour de la ville stratégique de Saraqeb, dans le sud de la province d’Idleb, selon l’OSDH, qui note toutefois une réduction de l’intensité des bombardements russes et turcs.

– « Tenez vos promesses » –

Les combats et bombardements ont provoqué une catastrophe humanitaire, faisant près d’un million de déplacés à Idleb. Le conflit en Syrie a fait plus de 380.000 morts depuis 2011.

La situation à Idleb suscite la vive préoccupation de la communauté humanitaire, qui a multiplié vendredi les appels à la fin des hostilités.

Mais au-delà d’une solidarité verbale, Ankara réclame désormais de l’aide concrète.

« Nous ne pourrons pas faire face à une nouvelle vague de réfugiés » venue d’Idleb, a prévenu samedi M. Erdogan, accusant l’Union européenne de ne pas avoir fourni toute l’aide financière promise pour accueillir les réfugiés en Turquie.

« Il faut que l’Europe tienne ses promesses (…) Si vous êtes sincères, alors il faut que vous preniez votre part du fardeau », a-t-il déclaré.

A la frontière grecque, où les nuages de gaz lacrymogène se mêlaient à la fumée âcre des feux de camps, les migrants attendaient l’occasion de passer.

« Les Grecs ont fermé la frontière (…) S’ils ne la rouvrent pas, alors nous essaierons de passer clandestinement. Hors de question de retourner à Istanbul », déclare à l’AFP Ahmad Barhoum, un réfugié syrien qui a passé la nuit sur place.

Un migrant égyptien ayant requis l’anonymat indique à l’AFP qu’il attend « une décision de la patronne de l’Union européenne, Angela Merkel », la chancelière allemande dont le pays avait accueilli plusieurs centaines de milliers de personnes lors de la crise migratoire en 2015.

Malaisie: le chef du gouvernement démissionnaire Mahathir remplacé par Muhyiddin Yassin

L’ancien ministre malaisien de l’Intérieur Muhyiddin Yassin a été nommé samedi chef du gouvernement en remplacement de Mahathir Mohamad, dont la démission le 24 février a plongé le pays dans l’incertitude politique.

L’annonce de cette nomination a été faite par des responsables du palais royal. Muhyiddin Yassin, 72 ans, prêtera serment dimanche, selon les mêmes sources.

« Le processus de désignation d’un Premier ministre ne peut pas être différé parce que le pays a besoin d’un gouvernement pour le bien-être du peuple et de la nation », a fait valoir le palais dans un communiqué.

Cette annonce marque non seulement la fin du pouvoir de M. Mahathir, 94 ans, considéré par certains comme le père fondateur de la Malaisie moderne, mais réduit aussi considérablement les chances d’un passage de relais avec son successeur désigné, Anwar Ibrahim.

M. Mahathir, le plus vieux dirigeant en exercice au monde, avait proposé mercredi de former un gouvernement d’union.

Il était revenu au pouvoir en 2018 quinze ans après l’avoir quitté, grâce à la victoire du « Pacte de l’espoir », une coalition qui comprenait nombre de ses anciens opposants, dont Anwar Ibrahim, son ex-bras droit jusque dans les années 1990 devenu son ennemi juré.

Les relations houleuses entre MM. Anwar et Mahathir dominent la vie politique en Malaisie depuis plus de 20 ans. Mais les deux hommes s’étaient alliés pour renverser en 2018 l’ex-Premier ministre Najib Razak, empêtré dans un énorme scandale de détournement de fonds.

M. Mahathir, qui avait déjà dirigé le pays de 1981 à 2003, s’était alors engagé à céder la place dans les deux ans à M. Anwar. Ce dernier, à l’époque emprisonné pour sodomie – une condamnation politique, selon ses partisans -, avait été immédiatement gracié par le roi et libéré.

La coalition « Pacte de l’espoir » a implosé il y a une semaine lorsqu’un groupe de ses parlementaires s’est joint à des partis d’opposition pour barrer la route du pouvoir à M. Anwar et tenter de former un gouvernement.

La tentative ayant échoué, MM. Mahathir et Anwar ont alors essayé chacun de leur côté de prendre le pouvoir, relançant leur ancienne rivalité.

Mais c’est Muhyiddin Yassin qui a rapidement engrangé des soutiens, dont celui de l’UMNO (Organisation nationale des Malais unis), le parti de l’ancien Premier ministre Najib Razak, et d’un parti islamiste radical.

Face à sa montée en puissance, MM. Mahathir et Anwar se sont à nouveau alliés, avec le soutien de la plupart des partis du « Pacte de l’espoir », mais en vain.

M. Muhyiddin a été membre de l’UMNO depuis des décennies et a occupé plusieurs postes de haut niveau. Il fut Premier ministre adjoint dans le gouvernement de M. Najib, avant d’être limogé à cause de ses critiques contre la corruption.

Afghanistan: Pompeo à Doha pour la signature d’un accord inédit avec les talibans

Les Etats-Unis et les talibans s’apprêtent à signer samedi un accord historique à Doha, qui ouvre la voie à un retrait total des troupes américaines après 18 ans de guerre et à des négociations de paix inédites interafghanes.

Le secrétaire d’Etat Mike Pompeo est arrivé dans la journée à Doha pour assister à la signature de l’accord après des mois de négociations menées avec l’intermédiaire du Qatar.

Le texte doit être signé vers 12H45 GMT par le négociateur de Washington, Zalmay Khalilzad, et le chef politique des talibans, les insurgés afghans, Abdul Ghani Baradar.

Il ne s’agit pas d’un accord de paix à proprement parler mais il permettra d’amorcer une sortie des Etats-Unis de la plus longue guerre de leur histoire.

Vendredi, le président Donald Trump a exhorté les Afghans à « saisir la chance de la paix ». « Si les talibans et le gouvernement afghan parviennent à respecter leurs engagements, nous aurons une voie toute tracée pour mettre fin à la guerre et ramener nos soldats à la maison. »

Les autorités afghanes, elles-mêmes aux prises avec les divisions nées d’une élection présidentielle contestée, ont jusqu’ici été tenues à l’écart de ces pourparlers directs sans précédent entre talibans et Américains.

« Nous sommes à l’orée d’une opportunité historique pour la paix », avait dit Mike Pompeo. Le chef des talibans Sirajuddin Haqqani avait affirmé dans le New York Times que « tout le monde » était « fatigué de la guerre ».

« Puisque l’accord est signé aujourd’hui, et que notre peuple est heureux et le célèbre, nous avons arrêté toutes nos opérations militaires dans tout le pays », a fait valoir à l’AFP samedi à Kaboul Zabihullah Mujahid, porte-parole des talibans.

– « Spéculations » –

« Il y a tellement de spéculations sur le contenu de l’accord », dit Andrew Watkins, de l’organisation de prévention des conflits International Crisis Group. « On connaît les grandes lignes mais on ne sait même pas avec certitude si tous les termes de l’accord seront rendus publics. »

Ces contours sont connus depuis septembre, lorsque sa signature, imminente, a été brusquement annulée par Donald Trump qui avait invoqué la mort d’un soldat américain dans un énième attentat à Kaboul.

Cette fois, les belligérants se sont entendus sur une période d’une semaine de « réduction de la violence », globalement respectée sur le terrain par les talibans, et qui prend fin ce samedi.

Sauf incident de dernière minute, les négociateurs américains, menés par Zalmay Khalilzad, pourront signer ce pacte que M. Trump brandira pour clamer, en campagne pour sa réélection dans huit mois, qu’il a tenu une de ses promesses phares: mettre fin à la plus longue guerre des Etats-Unis.

Les termes du marché conclu entre les ennemis est le suivant: les quelque 13.000 militaires américains vont commencer à se retirer d’Afghanistan, une revendication-clé des talibans; en contrepartie, ces derniers s’engageront à bannir tout acte de terrorisme depuis les territoires qu’ils contrôlent et à entamer de véritables négociations de paix avec le gouvernement de Kaboul avec lequel ils refusaient jusqu’ici de parler.

Malgré les critiques de certains observateurs pour qui elle concède trop pour trop peu, l’administration Trump assure que les garanties fournies par les insurgés répondent à la raison première de l’intervention américaine lancée en représailles aux attentats du 11-Septembre 2001 ourdis par Al-Qaïda depuis l’Afghanistan alors dirigé par les talibans.

– « Etape préliminaire » –

Dans un premier temps, les Américains devraient ramener leurs troupes à 8.600 dans les prochains mois. Le calendrier et l’ampleur des retraits ultérieurs demeurent plus vagues, même si M. Trump n’a pas fait de mystère sur le fait qu’il veut « ramener les gars à la maison » et « mettre fin aux guerres sans fin ».

Washington insiste toutefois pour assurer que le retrait sera progressif et conditionnel au respect des engagements des talibans.

Quelque 30 pays devraient être représentés samedi à Doha, mais pas le gouvernement afghan. Ce dernier a toutefois dépêché une petite délégation pour une « première prise de contact » avec les talibans.

Parallèlement, selon des médias afghans, les Etats-Unis organiseront une cérémonie avec le gouvernement afghan à Kaboul, dans l’après-midi.

Après ces cérémonies, des négociations interafghanes devraient commencer relativement rapidement, dans une ville à déterminer. Oslo a été évoquée par le passé.

« Aujourd’hui, ce n’est qu’une étape préliminaire pour le début de ce processus, ce n’est pas encore un motif de célébration pour le gouvernement et ses alliés », estime Andrew Watkins.

Les talibans ont été chassés du pouvoir en Afghanistan par une coalition internationale menée par les Etats-Unis après les attentats de 2001. Ils ont ensuite mené une guérilla incessante.

Entre 32.000 et 60.000 civils afghans ont été tués dans ce conflit, selon l’ONU, et plus de 1.900 militaires américains.

RDC: enquêtes pour « élucider » la mort d’un haut-gradé tombé en disgrâce

Le président de la République démocratique du Congo et l’armée congolaise ont annoncé des enquêtes pour « élucider » les « circonstances » de la mort brutale vendredi d’un haut-gradé sous sanctions internationales, qui venait de tomber en disgrâce.

Chef d’état-major adjoint chargé du renseignement militaire, proche de l’ancien président Joseph Kabila, le général Delphin Kahimbi est décédé vendredi d' »une crise cardiaque », a expliqué son épouse à l’AFP.

Il venait dans les jours précédents d’être empêché de voyager, suspendu de ses fonctions et entendu par le Conseil national de sécurité (CNS), selon des sources concordantes.

« Tout en présentant ses condoléances à la famille et à l’armée, le chef de l’Etat a souhaité que les enquêtes soient rapidement menées afin de déterminer les circonstances exactes de sa mort », selon le compte-rendu du Conseil des ministres de vendredi.

Dans un message vidéo parvenu samedi à l’AFP, le haut commandement militaire a salué la mémoire de « l’un de ses valeureux officiers généraux ».

« Toutes les dispositions sont prises pour élucider les circonstances de cette douloureuse perte. Une enquête est diligentée. Les conclusions de celle-ci feront l’objet d’une communication ultérieure », a déclaré un porte-parole militaire dans ce message vidéo.

Ce décès a suscité des rumeurs aussi inévitables qu’invérifiables (suicide, assassinat…).

Âgé de 50 ans, le général Kahimbi était l’une des douze personnalités congolaises toujours sous sanctions de l’Union européenne, pour atteintes aux droits de l’homme dans les dernières années du régime Kabila (2015-2018).

Resté en place après l’investiture de M. Tshisekedi, le général Kahimbi était accusé d’avoir mis en place « un système d’écoute des autorités », d’après une source militaire à l’AFP.

On lui reproche d' »avoir espionné Félix Tshisekedi », selon une source diplomatique.

Juste avant sa mort, les États-Unis – soutien affiché du nouveau président Tshisekedi – avaient publiquement salué jeudi sa destitution.

Investi en janvier 2019, ancienne figure de l’opposition, M. Tshisekedi gouverne la RDC en coalition avec son prédécesseur Kabila, dont les partisans sont majoritaires au Parlement et dans les autres institutions du pays.

Plusieurs personnalités très influentes à l’époque du président Kabila ont cependant été mises à l’écart et affaiblies ces derniers mois.

Somalie: une milice soufi rend les armes après des combats violents

L’armée somalienne a pris d’assaut dans la nuit de vendredi à samedi le camp où s’était repliée une milice soufi, dont les membres et responsables se sont rendus après une journée de combats meurtriers, a-t-on appris de source militaire et auprès d’un témoin.

« Les forces somaliennes ont pris le plein contrôle de la base de la milice et la situation est normale maintenant. Les dirigeants de la milice soufi se sont rendus », a déclaré à l’AFP Abdullahi Ahmed, un commandant de l’armée somalienne.

Des combats, opposant l’armée du gouvernement fédéral à la milice soufi Ahlu Sunna Wal Jamaa (ASWJ) en raison d’un contentieux lié aux dernières élections régionales, avaient éclaté jeudi soir à Dhusamareb, capitale de la région semi-autonome du Galmudug.

Ils s’étaient intensifiés le lendemain et un notable local, Mohamed Moalim Adan, joint au téléphone, avait indiqué à l’AFP qu’au moins 12 personnes avaient été tuées vendredi, dont des civils, et plus de 20 blessées.

Le Parlement du Galmudug avait élu début février président de la région Ahmed Abdi Kariye, un ancien ministre connu sous le surnom de Qoor-Qoor, soutenu par le gouvernement fédéral.

Le processus électoral avait été dénoncé par le chef d’ASW, Sheikh Mohamed Shakir, qui s’était autoproclamé président. Un ancien président du Galmudug, Ahmed Duale, avait aussi revendiqué la victoire en formant son propre Parlement.

« Les combattants soufi ont été vaincus et ont rendu leurs armes. Les forces somaliennes ont le contrôle maintenant et la situation est à nouveau normale », a déclaré Fadumo Warsame, un habitant de Dhusamareb.

Samedi matin, le sheikh Shakir a tenu une conférence de presse, lors de laquelle il a affirmé avoir « décidé de faire un compromis en pensant aux civils, après avoir compris que la situation s’aggravait et conduisait à encore plus de problèmes ».

Le groupe soufi modéré a joué un rôle majeur dans la lutte contre les islamistes radicaux shebab, soutenus par Al-Qaïda, dans le Galmudug. Il a contrôlé ces dix dernières années les villes principales de la région, restée grâce à lui largement à l’abri des attaques des shebab.

En 2017, le sheikh Shakir avait accepté de rejoindre l’administration régionale, mais il s’en était plus tard distancé en raison de désaccords avec son président.

Il avait ensuite donné son accord à une nouvelle élection soutenue par le gouvernement fédéral, avant de changer d’avis et d’accuser ce dernier de manipuler le processus pour imposer une personnalité qui lui soit fidèle.

La Somalie est plongée dans le chaos depuis la chute de l’autocrate Mohamed Siad Barre en 1991, et doit notamment faire face depuis 2007 aux insurgés shebab, qui mènent de nombreux attentats contre des cibles civiles et militaires.

Ethiopie: critiques envers les méthodes de l’armée contre les groupes armés

Desta Garuma, un conducteur de pousse-pousse de 27 ans, ne s’est jamais vraiment intéressé à la politique. Sa famille ne sait donc pas pourquoi l’armée éthiopienne en est arrivée à la conclusion qu’il était impliqué dans un mouvement rebelle actif en région Oromia.

Mais un jour de janvier, cinq camions remplis de soldats criant qu’ils avaient identifié un shifta, ou bandit, – un euphémisme pour rebelle -, l’ont suivi jusqu’à sa maison.

Pendant que sa mère et sa jeune sœur se cachaient à l’intérieur, Desta était abattu de trois balles dans le dos, selon des témoins.

« Quand j’ai entendu les coups de feu, j’ai crié: +Oh mon Dieu, ils ont tué mon fils », raconte à l’AFP sa mère Likitu Merdasa.

« Mon fils n’était pas quelqu’un qui causait des problèmes. Nous espérions qu’il pourrait améliorer sa vie et la mienne. Mais maintenant, on me l’a pris, et beaucoup trop tôt ».

Cette mort n’est qu’un exemple des nombreux abus que les habitants de Nekemte, les partis d’opposition et les défenseurs des droits de l’homme imputent aux soldats dans ou aux abords de cette ville d’Oromia (ouest).

Pour les leaders communautaires, c’est la population qui souffre le plus de la répression contre les rebelles. Celle-ci s’est intensifiée cette année et prend différentes formes, comme les arrestations de masse, les coupures internet et les restrictions pesant sur les activités politiques.

L’armée éthiopienne récuse les accusations selon lesquelles ses activités mettraient les civils en danger.

Mais pour les habitants de Nekemte, la présence des soldats rappelle les régimes autoritaires passés et ternit l’image du Premier ministre Abiy Ahmed, le prix Nobel de la Paix 2019, qui essaie de mener le pays vers des élections très attendues en août, mais fait face à des violences intercommunautaires qui mettent à l’épreuve son système de fédéralisme ethnique.

Ceci est particulièrement déconcertant pour des Oromo qui s’imaginaient bénéficier de l’arrivée au pouvoir en avril 2018 du réformateur Abiy, premier chef de gouvernement issu de cette ethnie, la plus importante du pays.

– « Éliminer la menace » –

« Quand les réformes sont arrivées, nous espérions tous que ce genre de chose n’arriverait pas aux Oromo », remarque Likitu. « Mais maintenant ils viennent aux portes de nos maisons et tuent nos enfants sous nos yeux ».

L’armée cible l’Armée de libération oromo (OLA), considérée comme responsable d’une série d’assassinats, d’attentats à la bombe, de vols à main armée et d’enlèvements en Oromia.

Auparavant bras armé du Front de libération oromo (OLF), l’OLA a coupé les liens avec ce parti d’opposition, qui avait passé des années en exil, quand l’OLF a été autorisé à rentrer en Ethiopie après la prise de fonction de M. Abiy. L’OLA compterait quelques milliers de membres.

Le gouvernement ne s’est pas épanché sur les opérations militaires à Nekemte et dans la région alentour, appelée Wollega.

Mais les efforts de contre-insurrection paraissent avoir redoublé d’intensité depuis janvier, observe William Davison, analyste spécialiste de l’Éthiopie pour l’International crisis group (ICG).

« Il semble que le gouvernement a décidé de faire un effort accru pour complètement éliminer la menace des groupes armés dans la zone », estime-t-il.

Le général Tilahun Ashenafi, chargé des relations extérieures pour l’armée nationale, a défendu l’action militaire en disant n’avoir pas entendu parler de civils tués.

Les soldats agissent « comme il se doit dans cette région pour faire disparaître les éléments opposés à la paix », a-t-il affirmé à l’AFP.

Mais pour nombre d’habitants de Nekemte, c’est bien l’armée et non la rébellion qui est source d’instabilité.

– « Colère contre le gouvernement » –

Asfaw Kebede, un responsable communautaire âgé de 60 ans, dit s’être alarmé l’an passé des arrestations sans chef d’accusation de jeunes gens dans le palais Kumsa Moroda, une ancienne attraction touristique transformée selon les habitants en prison improvisée.

Quand Asfaw a commencé à amener de la nourriture aux détenus, il a été à son tour emprisonné par les soldats dans une cellule obscure pendant six semaines, avec une centaine d’autres prisonniers.

Aucune véritable nourriture ni soin de santé n’était disponible, se remémore-t-il.

Le palais était rempli de serpents et de souris, qui rentraient dans les cellules. Les détenus, effarouchés, se bousculaient pour s’en éloigner et étaient battus à coups de bâton, ajoute-t-il.

Les partis d’opposition subissent aussi la présence militaire. Des dirigeants de l’OLF et du Congrès fédéraliste oromo (OFC) racontent que leurs bureaux ont été fermés à de multiples reprises et certains de leurs membres détenus.

De telles pratiques ont l’effet inverse de celui recherché et renforcent la popularité de l’OLA, estime Tamirat Biranu, chef d’une congrégation évangélique à Nekemte.

« Les jeunes sont très tristes de ce qui arrive et sont en colère contre le gouvernement », déclare-t-il. « A cause de ça, certains d’entre eux rejoignent les rebelles ».

Aussi alarmante soit la situation à Nekemte, elle pourrait être encore bien pire dans les zones rurales situées plus à l’ouest, où le réseau téléphonique est coupé depuis des mois, souligne Asebe Regassa, enseignant à l’université de Wollega.

« Il y a des meurtres quotidiennement dans les zones rurales », affirme-t-il, ajoutant que les paysans craignent de procéder aux récoltes, de peur que les soldats ne les accusent de chercher à nourrir les rebelles.